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Chroniques 2022

Se libérer, avec Charles Péguy,

des cléricalismes politiques et religieux.

Chronique de Bernard Ginisty du 24 juillet 2022

La période actuelle fait entendre à nouveau les discours convenus qui ne       manquent pas de surgir à chaque échéance électorale. Journaux, télévisions, radios se font l’écho d’un déluge de critiques sur l’état de la société et sur l’indigence du programme et de l’action de ses adversaires politiques. J’ai pris l’habitude, lors de chaque élection, de relire Charles Péguy, homme engagé s’il en fut, mais non embrigadé. Relire les Cahiers de la Quinzaine permet de retrouver toute la densité charnelle, intellectuelle et spirituelle que peuvent véhiculer des mots comme république ou démocratie et de prendre de la distance avec le bavardage des communicateurs. Observant les débats électoraux « cléricaux » de son temps, Péguy en appelle à « une grande philosophie »

« Le véritable philosophe sait très bien qu’il n’est pas institué en face de son adversaire, mais qu’il est institué à côté de son adversaire et des autres en face d’une réalité toujours plus grande et mystérieuse.

Et cela, même le véritable physicien aussi le sait. Qu’il n’est pas institué en face du contraire physicien, mais à côté du contraire physicien, en face d’une nature toujours plus grande et plus mystérieuse.

Assister à un débat de philosophie ou y participer avec cette idée qu’on va convaincre ou réduire son adversaire ou que l’on va voir l’un des deux adversaires confondre l’autre, c’est montrer qu’on ne sait pas de quoi on parle, c’est témoigner d’une grande incapacité, bassesse et barbarie. C’est témoigner d’un manque de culture. C’est montrer qu’on n’est pas de ce pays-là.

« Qu’est-ce donc à dire sinon qu’une grande philosophie n’est point celle qui règle les questions une fois pour toutes mais celle qui les pose ; qu’une grande philosophie n’est point celle qui prononce, mais celle qui requiert.

(…) Une grande philosophie n’est pas celle qui prononce des jugements définitifs, qui installe une vérité définitive. C’est celle qui introduit une inquiétude, qui ouvre un ébranlement » (1). Comment ne pas voir la grande actualité de ces propos qui ont plus d’un siècle !

 Fils du peuple et de l’école communale laïque pour qui le peuple n’était pas un thème intellectuel mais une expérience charnelle, Péguy s’est toujours refusé à ce qu’il appelait « une pensée habituée ». Ouvrir un volume de ses œuvres, c’est retrouver à la fois l’humour ravageur qui déstabilise les notables enkystés dans leurs possessions, partis, églises ou universités, et l’entêtement d’enfant à vivre et à espérer malgré toutes les difficultés de la vie.

Celui qu’un de ses contemporains appelait « le fauve doux » a rencontré l’invraisemblable gratuité de la grâce. Il n’aura alors de cesse de se battre contre ceux qu’il appelle « les curés ». « Nous naviguons constamment entre deux curés, nous manœuvrons entre deux bandes de curés ; les curés laïques et les curés ecclésiastiques ; les curés cléricaux anticléricaux, et les curés cléricaux ; les curés laïques qui nient l’éternel du temporel et les curés ecclésiastiques qui nient le temporel de l’éternel. (…) Ainsi, les uns et les autres ne sont point chrétiens » (2).   Militant engagé dans    l’affaire Dreyfus et le parti socialiste, il tonne contre la dégénérescence de la mystique en politique et la manipulation des mouvements militants par les chanoines prébendés de la politique. Il écrivait que la vie chrétienne était difficilement accessible «  aux rentiers, aux fonctionnaires et aux moines » (3). La boutade ne vise pas des personnes, mais l’obsession de la sécurité à travers l’argent, le statut ou le refuge religieux qui rendent l’homme « imperméable à la grâce »

L’abstention, comme d’ailleurs la croissance régulière du vote pour des partis extrêmes dans notre pays, traduisent la conscience d’être devant un système unique, incapable de se réformer et vis à vis duquel les seules solutions seraient le repli individualiste dans son jardin, où l’appel à des ruptures radicales plus incantatoires d’ailleurs qu’opérationnelles.  Péguy pose la bonne question : l’espace public permet-il à chacun d’être un inventeur ? Cela ne signifie pas que nous serions tous des Einstein réprimés ou des « Mozart assassinés » ! Mais plus simplement, et plus fondamentalement, comment nos vies personnelles, familiales, sociales, professionnelles peuvent-elles être aussi une invention de soi et non le destin écrit par les maîtres des marchés financiers, les rois de la publicité ou les grands-prêtres médiatiques ? 

  Rénover la sphère publique, c’est retrouver l’agora faite de la richesse des échanges entre citoyens inventifs et créatifs. Il y a un rapport étroit entre la richesse intérieure de chaque citoyen et celle du débat public. Bien loin de promouvoir l’embrigadement derrière des figures médiatiques qui font les beaux jours des débats télévisés, la politique n’est pas la propriété de notables couperosés ou d’experts aux propos définitifs. Elle fait appel aux ressources inventives de chacun. Par-delà l’abondance des sondages et des analyses sociologiques, il est urgent d’entendre encore une fois Péguy : « On ne peut pas sociologiquer ni le génie, ni le peuple » (4). Le renouveau d’une société politique n’est pas le résultat d’un marketing mieux ciblé, mais le fruit d’un accroissement de la conscience et de la responsabilité de chaque citoyen. Le pèlerin de Chartres, croyant anticlérical, père de famille impécunieux à la vie conjugale difficile, portant le souci de ses enfants malades, mort à 41 ans dans les premières tueries de la guerre de 1914, n’aura pas réussi un « plan de carrière ». Mais il est resté fidèle à cette enfance de la grâce, plus jeune que nos savoirs, nos institutions et nos désillusions. 

Commentant le propos de l’économiste indien Amartya Sen pour qui « la politique de la démocratie donne aux citoyens la chance d’apprendre les uns des autres », Hervé Kempf soulignait que « le cœur de la démocratie n’est pas l’élection, mais la délibération, par laquelle nous apprenons les uns des autres (5). Elle vit du travail de chacun pour sortir d’un « regard habitué » et retrouver : « le regard natif, le regard de naissance et de commencement, le regard de tête de chapitre, le premier regard, le seul vrai ; plus que vrai, réel ; enfin le regard de la révélation première » (6).

  1. Charles PEGUY (1873-1914) : Note sur M. Bergson et la philosophie bergsonienne in Œuvres en prose complètes. Tome 3, bibliothèque de la Pléiade, éditions Gallimard 1992, pages p. 1264- 1265
  2. Charles PEGUY : Dialogue de l’histoire et de l’âme charnelle. Texte posthume écrit en 1912 in Œuvres en prose complètes, Tome 3, bibliothèque de la Pléiade, éditions Gallimard 1992, pages 668-673. Dans leur récent ouvrage intitulé : Vers l’implosion ? Entretiens sur le présent et l’avenir du catholicisme, éditions du Seuil 2022,Danièle Hervieu-Léger et Jean-Louis Schlegel analysent comment le cléricalisme hypothèque l’avenir du catholicisme. 
  3. Charles PEGUY : Victor-Marie, comte Hugo in Œuvres en prose complètes, tome 3, pages 329-330
  4. Charles PEGUY : Brunetière in Œuvres en prose complètes, Tome 2, bibliothèque de la Pléiade, éditions Gallimard 1988,                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                            page 636.
  5. Hervé KEMPFL’oligarchie ça suffit, vive la démocratie. Éditions du Seuil 2011, page 9. 
  6. Charles PEGUY : Clio, Dialogue de l’histoire et de l’âme païenne.  Texte posthume écrit en 1913 in Œuvres en prose complètes, Tome 3, bibliothèque de la Pléiade, éditions Gallimard 1992, page 1025. 

La crise ukrainienne à la lumière des écrits

et de l’action de Jan Patocka et Vaclav Havel. 

Chronique de Bernard Ginisty du 3 avril 2022

Face aux massacres de populations civiles et les destructions de villes entières en Ukraine, par l’armée russe, au nom d’un populisme nationaliste et d’un messianisme identitaire soutenu par une partie de la hiérarchie de l’Église orthodoxe russe (1), plusieurs observateurs déplorent la faiblesse des démocraties et évoquent « l’esprit munichois » qui a conduit à la seconde guerre mondiale. 

Tout d’un coup, nous découvrons que la guerre n’est pas un phénomène exotique réservé à des peuples pas très évolués. Que la guerre soit à nos portes, dans le total mépris des règles internationales, nous réveille de cette quiétude que d’aucuns nous annonçaient suite à l’écroulement de l’Union Soviétique. Nous serions, comme l’écrivait l’essayiste américain Fukuyama dans un best-seller mondial (2), « à la fin de l’histoire » et définitivement libéré des fureurs nationalistes. C’est ce que le président Emmanuel Macron appelle « le retour du tragique ». Plus fondamentalement, la confrontation avec le totalitarisme nous oblige à nous poser les questions d’éthique et de sens de la vie.

Cette prise de conscience a été au cœur de la pensée et de l’action de Vaclav Havel, dissident tchèque confronté au totalitarisme communiste ayant connu plusieurs années de prison avant de devenir président de son pays après la « révolution de velours ».

Dans une lettre à sa femme depuis sa prison, il écrit ceci : « L’identité humaine n’est pas un simple « lieu de séjour » confortable, mais une investigation permanente. Qui sait si le choc que j’ai subi n’était pas commandé par le destin et s’il ne m’a pas éloigné, peut-être au dernier moment, du petit chemin menant au port de la morale des mérites, réifiée, aliénée, fétichisée et entièrement fausse dont parle Levinas, de la « morale pour la presse » – particulièrement dangereuse car elle est trompeuse – cette manière de succomber à l’existence dans le monde, qui est un arrangement complaisant avec son propre inconfort institutionnalisé » (3). 

Dans les années 1970, l’Europe a connu une crise grave suite à l’installation de missiles SS20 par l’Union soviétique en territoire de l’Allemagne de l’Est. L’OTAN a répliqué en déployant en Europe des fusées américaines Pershing. Devant la menace de guerre, il y eut de nombreuses manifestations pacifistes dont certaines proclamaient : « Plutôt rouge que mort ». Pour Havel ces mots sont le signe du renoncement au sens de la vie :

Un tel slogan est un signal sur le sens duquel il n’y a pas à se tromper. Il signifie que celui qui l’adopte a renoncé à son humanité comme capacité de répondre personnellement de quelque chose qui le dépasse, et donc, en cas extrême, de sacrifier même sa vie au sens de la vie. Patocka (4) disait qu’une vie qui n’est pas disposée à se sacrifier elle-même, à son sens, ne vaut pas d’être vécue. (…) En d’autres termes, le slogan “plutôt rouge que mort” ne m’agace pas comme une expression d’une capitulation face à l’Union Soviétique. Il m’effraie comme expression du renoncement de l’homme occidental au sens de la vie, expression de son adhésion au pouvoir impersonnel en tant que tel. En réalité ce slogan proclame : rien ne vaut qu’on lui sacrifie la vie. (…) Autrement dit : rien ne vaut rien. Rien n’a de sens. C’est une philosophie de la négation totale de l’humanité. (…) Je ne peux m’empêcher de penser que le péril qui menace la culture occidentale vient moins des missiles SS20 que de la culture occidentale elle-même. ” (5)

Pour Havel, l’esprit rationaliste de la science moderne, fondée sur la raison abstraite et le postulat d’une objectivité impersonnelle, a été mis en oeuvre pour la première fois, au plan politique, par Machiavel. A partir de lui, la politique est devenue une “technologie rationnelle du pouvoir” dont une des caractéristiques est la mise entre parenthèses de l’homme concret. Cette dépersonnalisation caractérise, sous des formes différentes, aussi bien les sociétés de l’Est que de l’Ouest. Tout au long de ses écrits, Havel affirme l’échec de cette vision politique limitée à la pure extériorité des rapports de forces. Celui qui a eu le courage et la lucidité d’écrire en prison, en plein système répressif, que tout totalitarisme repose en partie sur un “ autototalitarisme ” de l’homme et de la société, ne peut que critiquer une action politique qui se voudrait pure technologie rationnelle et n’impliquerait pas son acteur. Cette insistance sur l’éthique va-t-elle, pour éviter Machiavel, nous conduire vers Saint-Just ou Robespierre, ou encore vers quelque “ retour ” à des intégrismes ? Il n’en est rien et c’est à une dissidence permanente contre le tout fait, le totalitarisme, l’impersonnel, que nous convie Havel : « Il me semble que tous – que nous vivions à l’Ouest ou à l’Est – nous avons une tâche fondamentale à remplir, une tâche dont tout le reste découlerait. Cette tâche consiste à faire front à l’automatisme irrationnel du pouvoir anonyme, impersonnel et inhumain des idéologies, des systèmes, des appareils, des bureaucraties, des langues artificielles et des slogans politiques, à résister à chaque pas et partout, avec vigilance, prudence et attention, mais aussi avec un engagement total ; à nous défendre des pressions complexes et aliénantes qu’exerce ce pouvoir, qu’elles prennent la forme de la consommation, de la publicité, de la répression, de la technique ou d’un langage vidé de son sens (langage qui va de pair avec le fanatisme et nourrit la pensée totalitaire) ; à faire confiance à la voix de notre conscience plutôt qu’à toutes les spéculations abstraites et à ne pas inventer de toutes pièces une autre responsabilité en dehors de celle à laquelle cette voix nous appelle ; à ne pas avoir honte d’être capable d’amour, d’amitié, de solidarité, de compassion et de tolérance, mais au contraire à rappeler de leur exil dans le domaine privé ces dimensions fondamentales de notre humanité et à les accueillir comme les seuls vrais points de départ d’une communauté humaine qui aurait un sens » (6)

  1. Guy AURENCHE : « La guerre déclenchée par le président russe contre l’Ukraine n’est pas une guerre de religion. Plutôt une croisade expansionniste menée au nom de la pureté russe inspirée par l’orthodoxie, afin de lutter contre l’Occident décadent et menaçant. Le patriarche orthodoxe russe Kirill, l’un des théoriciens de ce discours, confirme, bénit, et sacralise une telle manipulation de la foi chrétienne au service de la guerre. Tout en affirmant que « là où est le diable, là aussi est le mensonge » il ose expliquer que « les ennemis (extérieurs) des peuples russes et ukrainiens s’efforcent par tous les moyens de leur insinuer : vous êtes des ennemis, vous devez faire la guerre ». Il évoque « un combat métaphysique au nom du droit de se tenir du côté de la lumière, du côté de la vérité de Dieu, de ce que nous révèlent la lumière du Christ, sa parole, son Évangile ». Devant tant de mensonges, il me faut bien croire que le diable existe ! » Cf. « Guerre en Ukraine, un combat métaphysique disent-ils ! http://www.garriguesetsentiers.org/
  1. Francis FUKUYAMA : La fin de l’histoire et le dernier Homme, éditions Flammarion, 1992
  2. Vaclav HAVEL (1936-2011) : Lettre du 31/07/1982 in Lettres à Olga, éditions de l’Aube1990, page 391
  3. Jan PATOCKA (1907-1977) est un des principaux philosophes européens du XXe siècle. Il enseigne à la Faculté des lettres de 1936, jusqu’à la fermeture des universités tchèques (1939) par l’occupant nazi. Il est de nouveau professeur entre 1945 et 1949, avant d’être exclu de l’université lors des purges communistes. Il travaille alors dans diverses institutions philosophiques et pédagogiques. Au Centre de recherches pédagogiques, il publie la première édition tchèque du Pansophica de Comenius. Il retrouve un poste à la Faculté de philosophie, en 1968. En 1972, il est mis à la retraite d’office. Ses séminaires « clandestins », animent la vie culturelle de la capitale pragoise, alors atone en raison de la Normalisation en Tchécoslovaquie. En 1977, il signe la Charte 77 et devient, avec Jiří Hájek et Václav Havel, l’un de ses premiers porte-parole. S’ensuit une persécution policière constante. Après un interrogatoire policier particulièrement long, Patocka doit être hospitalisé et meurt d’une hémorragie cérébrale, le 13 mars 1977. Paul Ricœur écrit, Jan Patocka fut « littéralement mis à mort par le pouvoir ». Selon Jorge Semprún, dans son ouvrage Le Mort qu’il faut, les autorités tchécoslovaques ont ordonné la fermeture des fleuristes de Prague le jour de son enterrement, afin de limiter les hommages que pouvait lui rendre la population (Wikipédia). On vient de publier en français ses Carnets philosophiques 1945-1950, éditions Vrin 2021. « En héritier d’Husserl, ce héros de la dissidence tchèque ne cessa jamais de penser le monde par « l’ouverture à ce qui ébranle. Ces Carnets philosophiques couvrent une période décisive dans la cristallisation de son travail » Nicolas Weill : Jan Patocka, sentinelle antitotalitaire, journal Le Monde, 19 novembre 2021   
  4. Vaclav HAVEL :  La politique de la conscience, discours lu en son absence lors de la remise du diplôme de docteur honoris causa, à l’université de Toulouse-Le Mirail le 14 mai 1984, in Essais politiques, éditions Calmann-Lévy, 1989, pages 241-242.
  5. Id. page 243

Retrouver les liens entre l’habitation, « le monde où l’on vit »

et la production, « le monde dont on vit », Bruno Latour.

Chronique de Bernard Ginisty du 10 mars 2022.

Dans une déclaration récente, le Président de la République évoquait, à propos de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, « le retour du tragique ». Mais notre actualité c’est aussi le tragique de la dévastation de la nature par le réchauffement climatique et celui du retour des anciennes terreurs des grandes pestes par la pandémie.  Les antiques litanies de la liturgie chrétienne imploraient Dieu de nous délivrer de trois maux « la peste, la famine et la guerre ». Face à cela, les discours pré-électoraux que nous connaissons actuellement semblent un peu court. Plutôt que de s’ingénier à trouver des nouvelles réponses aux mêmes questions, peut-être faudrait-il interroger les questions. 

Le grand poète René Char à la tête d’un réseau de résistance lors de la dernière guerre mondiale, déplorait cette situation et souhaitait que ses camarades sortent des pensées toutes faites : « Ils se laissent choir de toute la masse de leurs préjugés ou ivres de l’ardeur de leurs faux principes. Les associer, les exorciser, les alléger, les muscler, les assouplir, puis les convaincre qu’à partir d’un certain point l’importance des idées reçues est extrêmement relative et qu’en fin de compte « l’affaire » est une affaire de vie et de mort et non de nuances à faire prévaloir au sein d’une civilisation dont le naufrage risque de ne pas laisser de trace sur l’océan de la destinée, c’est ce que je m’efforce de faire approuver autour de moi » (1) Et pour cela, il rappelait à tous les candidats qui souhaitent « changer la vie » de leurs concitoyens : « Quand on a mission d’éveiller, on commence par faire sa toilette dans la rivière. Le premier enchantement comme le premier saisissement sont pour soi » (2).

Bruno Latour, un des intellectuels français les plus traduits dans le monde, s’inscrit dans cette démarche « poétique » que René Char définit ainsi : « Mettre en route l’intelligence sans le secours des cartes d’état-major » (3) Dans un petit livre d’une centaine de pages écrit avec Nikolaj Schultz doctorant au département de sociologie de l’université de Copenhague, intitulé « Memo sur la nouvelle classe écologique. Comment faire émerger une classe écologique et fière d’elle-même », il expose comment toute action de rénovation politique suppose d’abord qu’on se libère des « cartes d’état-major » : « L’écologie est à la fois partout et nulle part. Pour le moment, il semble que ce soit l’immense diversité des conflits qui empêche de donner à ces luttes une définition cohérente. Or cette diversité n’est pas un défaut, mais un atout. C’est que l’écologie est engagée dans une exploration générale des conditions de vie qui ont été détruites par l’obsession de la seule production. » (4). 

Cette focalisation sur la production conduit de plus en plus à la destruction de la planète : « L’économie dirigeait son attention vers la mobilisation des ressources en vue de la production, mais existe-t-il une économie capable de se retourner vers le maintien des conditions d’habitabilité du monde terrestre. C’est tout l’enjeu de la nouvelle classe écologique ». Il s’agit bien d’une lutte politique : « Le signe, c’est que les militants écologistes sont maintenant plus nombreux à se faire assassiner que les syndicalistes » (5)

Dès lors, il faut revisiter le thème de la « lutte des classes » : « Le point de clivage qui dresse la nouvelle classe écologique contre toutes les autres, c’est qu’elle veut restreindre la place des rapports de production, et que les autres veulent l’étendre. (…). La question clef n’est pas, comme auparavant, celle des seuls conflits de classe à l’intérieur du système de production, mais celle de la relation nécessairement polémique entre maintien des conditions d’habitabilité et système de production. C’est cette tension de deuxième rang qui fait toute la nouveauté de la situation. (…) La lutte des classes a toujours été, mais redevient aujourd’hui, un ensemble intriqué de conflits géosociaux pour lesquels le formatage par l’économisation n’est plus adapté, faute de pouvoir donner place aux terrestres – humains compris » (6).

Il s’agit donc pour l’écologie de sortir de son enfance et de cesser de se considérer comme « adventice » : « Assumer de prendre en charge, pour chaque sujet, pour chaque territoire le monde où l’on vit en le reliant explicitement au monde dont on vitallonge l’horizon de l’action. C’est cet allongement de l’horizon qui autorise la classe écologique à se constituer comme plus légitime pour définir le sens de l’histoire » (7) Par rapport à l’hybris de la modernité tentée par le dépassement continu des barrières, « s’émanciper change de signification quand il s’agit de s’habituer à dépendre enfin de ce qui nous fait vivre ! L’écologie repose la place et la conception des limites. (…) Mais comme elle est contraire à nos habitudes, cette quête des « liens qui libèrent !» (8). Par ailleurs, la pandémie du Covid oblige à revoir un certain rapport à la « science » : « Dans un monde galiléen, l’épidémie serait une crise en voie de résolution ; dans celui où nous vivons, le Covid ne cessera de nous obliger à muter comme lui. Terrible leçon celle-là » (9).

La promotion, par Bruno Latour, d’une nouvelle classe sociale « écologique » nous ramène-t-elle à la reprise du thème du parti unique qui incarne au forceps le sens de   l’histoire et, pour ce faire, promeut un pouvoir totalitaire et centralisateur ? Et là aussi, la crise que nous traversons invite à de nouveaux chemins dans le champ politique : 

« L’émergence d’une classe écologique organisant autour d’elle et dans ses propres termes les luttes des classes, semble pour l’instant limitée par l’extraordinaire dispersion des forces et des expériences. En parodiant le mot célèbre « L’écologie politique, combien de divisions ? ». Mais cette dispersion est bienvenue s’il s’agit d’échapper par tous les moyens au destin apparemment inéluctable de l’extension de la production. S’il faut toujours se méfier du changement d’échelle, cela est vrai aussi en politique. Il faut résister à la tentation de s’unifier selon les formes traditionnelles de l’offre politique qui prétend toujours, par un grand coup de boutoir, renverser l’obstacle et passer à des jours meilleurs. En régime virus, il n’y a pas de jours meilleurs. Ce n’est pas ainsi que coule le temps des vivants. Là encore, l’exigence de composition oblige à ralentir pour détecter à sa manière les alliances à opérer. En ce sens, l’écologie politique, nourrie à cette nouvelle culture des vivants, doit chérir sa multiplicité. C’est ce qui lui permet d’explorer les alternatives dans toutes les directions » (10).  

Où atterrir ? Comment s’orienter en politique (11), c’est le titre d’un ouvrage publié en 2017 par Bruno Latour. Dans ce court essai, il tentait de cerner les contours de la révolution copernicienne dans laquelle la mutation climatique plonge chacun d’entre nous. Dans une tribune publiée le 25 mars 2020 dans le journal Le Monde il précisait ainsi son propos : « Dans la crise sanitaire, il est peut-être vrai que les humains pris en bloc ‘luttent contre’ les virus. La situation est tragiquement inverse dans la mutation écologique : cette fois-ci, l’agent pathogène dont la virulence terrible a modifié les conditions d’existence de tous les habitants de la planète, ce n’est pas du tout le virus, ce sont les humains ! Et pas tous les humains, mais certains, qui nous font la guerre sans nous la déclarer. Pour cette guerre-là, l’État national est aussi mal préparé, aussi mal calibré, aussi mal dessiné que possible car les fronts sont multiples et traversent chacun d’entre nous ». 

  1. René CHAR : Fureur et Mystère. Les feuillet d’Hypnos in Œuvres complètes, La Pléiade, éditions Gallimard, 1983 page 184. 
  2. René CHAR : Les Matinaux, id. page 329.
  3. René CHAR : Fureur et Mystère, id. page 204
  4. Bruno LATOUR et Nicolaj SCHULTZ : Mémo sur la nouvelle classe

        écologique, éditions de la découverte 2022, page 12

  1. Id. pages 24-25
  2. Id. pages 31-32 
  3. Id. page 34
  4. Id. pages 42-43
  5. Id. page 53
  6. Id. pages 62-63
  7. Bruno LATOUR : Où atterrir ? Comment atterrir en politique, éditions La Découverte 2017,

La vieillesse, ouverture aux paroles primordiales

Chronique de Bernard Ginisty du 30 janvier 2022. 

Dans un ouvrage assez poignant où il s’interrogeait sur son propre vieillissement, le psychiatre Claude Olivenstein, spécialisé dans les traitements des toxicomanies, écrivait ceci : « Il y a deux âges privilégiés pour se préoccuper du sens de la vie : l’adolescence où tout est éveil et puis le moment de la reconnaissance, par l’intime conviction de la naissance de la vieillesse, de son parcours inéluctable » (1). Dans une société qui privilégie les « belles images » des « gagnants », la vieillesse risque d’être vécue comme une succession de pertes. Cela peut entraîner deux types d’écueils : la crispation d’une gérontocratie où l’affirmation du pouvoir devient de plus en plus ubuesque pour compenser les atteintes de l’âge, ou bien, un abandon progressif des échanges sociaux.

Le retentissement de la publication de l’ouvrage du journaliste Victor Castanet, intitulé Les fossoyeurs. Révélations sur le système qui maltraite nos aînés, a conduit les plus hautes autorités de l’Étatà lancer des « inspections » auprès de certains Établissements d’Hébergements pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD) (2). Depuis plusieurs années, des responsables avaient déjà, en vain, attiré l’attention des pouvoirs publics sur des situations qu’ils jugeaient « inacceptables ». Dans une tribune récente intitulée : Le grand âge est notre avenir, prenons en soin dès maintenant, on peut lire le constat suivant : « La pandémie de Covid-19 a mis en évidence les conditions souvent difficiles, voire inacceptables, dans lesquelles exercent les professionnels qui interviennent auprès des personnes âgées, en même temps que la souffrance de ceux dont ils prennent soin » (3). Dès 2018, les professionnels qui accompagnent les personnes très âgées ont lancé un cri d’alarme qui n’a pas été entendu. Et la tribune rappelle les promesses des responsables politiques et les nombreux rapports restés sans suite. 

La France compte aujourd’hui 2,6 millions de personnes de 85 ans et plus, et ce nombre va croître de 70% d’ici à 2040. Voilà un « gisement » de profits très prometteur que découvre Victor Castanet :« En s’intéressant aux dérives signalées dans un Ehpad à Neuilly-sur-Seine, l’auteur n’imaginait pas qu’il plongerait à ce point au cœur de ce qu’il appelle le « système Orpea ». A l’en croire, l’obsession de la rentabilité aurait poussé les dirigeants historiques du groupe à imposer des méthodes managériales contestables, à rogner sur les dépenses, à s’arranger pour profiter au mieux de l’argent public, à jongler sans cesse avec les contrats de vacataires. Sans oublier les liens financiers avec des fournisseurs et des apporteurs d’affaires, ou encore une troublante proximité avec des hauts fonctionnaires et des élus. Le tout au nom d’une phrase érigée en dogme dans les réunions d’état-major : « il faut que çà crache » (4).

Nos sociétés ne peuvent plus éviter, tant au niveau collectif qu’au niveau personnel, de s’interroger sur ses relations avec la vieillesse et la mort.

Dans son ouvrage intitulé Le Crépuscule de la raison (4), Jean Maisondieu, praticien spécialiste de la maladie d’Alzheimer, analyse le sens profond de cette maladie qui atteint les sociétés développées. Elle lui apparaît témoigner plus ou moins consciemment ce qu’il appelle un « autruicide » causé par la double injonction contradictoire de nos sociétés : vivre le plus longtemps possible en restant jeune le plus longtemps possible : « Vieillir sans être vieux : un impératif aliénant. La vieillesse-maladie est un exemple flagrant d’autruicide collectif par langage interposé, avec la complicité de la médecine. La prévention demeurant la meilleure défense contre une maladie, il faut absolument éviter d’attraper la vieillesse en prenant de l’âge, et donc rester jeune à tout prix. Problème : non seulement c’est impossible, mais en plus c’est pathogène. S’efforcer de rester jeune quand on est vieux revient à s’interdire d’être une personne de son âge, c’est-à-dire d’être soi-même. Et c’est aliénant. Le sénescent doit se muer en senior luttant victorieusement – et souvent ostensiblement – contre la vieillesse pour la tenir à distance. Bref, il doit se battre contre lui-même, et il le fait pour ne pas être exclu. Ceci jusqu’au jour où, n’en pouvant plus de cette guerre intestine pour être d’un autre âge que le sien, irrémédiablement coincé dans la multiplicité des double-liens communicationnels qu’engendre l’absurdité de son programme de vie, il perd la tête et devient dément… ou se suicide. (…)La vieillesse et les vieux ne sont pas les bienvenus chez les Occidentaux. Ces derniers peuvent prendre de l’âge. Cela leur est même recommandé : l’accroissement continu de l’espérance de vie représente un titre de gloire pour les sociétés dites « avancées ». Mais s’ils sont ainsi encouragés à vivre longtemps, et s’ils peuvent se procurer toutes sortes de médicaments pour s’efforcer de rester en forme, c’est sous la réserve expresse de ne pas devenir vieux, et encore moins dépendants » (5).

Dans un petit ouvrage intitulé Incipit ou le commencement, Maurice Bellet nous indique le chemin des « commencements » :

« Longtemps j’ai attendu, longtemps j’ai espéré. Quelque chose devait surgir, quelqu’un parlerait, nous serions à nouveau portés par le courant.

J’approche de la mort, j’attends encore. 

Il me semble du moins que j’entends enfin ce que j’essaie de dire depuis trente ans, depuis toujours.

Et c’est une chose simple, absolument simple.

Qu’est-ce qui nous reste ? Qu’est-ce qui reste quand il ne reste rien ? Ceci : que nous soyons humains envers les humains, qu’entre nous demeure l’entre nous qui nous fait hommes.

Car si cela venait à manquer, nous tomberions dans l’abîme, non pas du bestial, mais de l’inhumain ou du déshumain, le monstrueux chaos de terreur et de violence où tout se défait.

Cette mutuelle et primitive reconnaissance, c’est en un sens le banal et l’ordinaire de la vie.

C’est ce qui s’échange dans le travail partagé, dans les gestes simples de la tendresse, dans les conversations au contenu peut-être dérisoire, mais où pourtant l’on converse, face à face, présents pour s’entendre.

C’est ce qui subsiste et resurgit dans les situations extrêmes : quand quelqu’un va mourir (du sida, d’un cancer, de vieillesse) quand quelqu’un, par âge ou accident, est réduit à l’hébétude, ou qu’il se trouve noué dans l’angoisse, ou quand une mère regarde pour la première fois l’enfant qui vient de sortir d’elle.

Alors il arrive qu’un presque rien, la lumière d’un visage, la musique d’une voix, le geste offert d’une main, tout d’un coup disent tout ; et que par exemple cet épuisé qu’on croyait noyé dans l’absence signe, d’un mouvement presque invisible, la présence de la présence.

Parole, primordiale parole où se désigne l’humain de l’humain. Elle peut être sans mots, dans l’aube impalpable du langage. Et si des mots la disent, ils sont chair et esprit, pétris d’une substance qui les exhausse au-dessus du langage ordinaire » (6).

  1. Claude OLIVENSTEIN (1933-2008) : Naissance de la vieillesse, éditions Odile Jacob, 1999, page 40.
  2. Victor CASTANET : Les fossoyeurs, éditions Fayard, 2022. Le journal Le Monde du 25 janvier a publié, pages 24 et 25, de « bonnes feuilles » de cet ouvrage
  3. Tribune publiée par le journal Le Monde du 22 juin 2021, page 25. Parmi les signataires  Catherine BARBAROUX, membre du bureau exécutif de la République en marche ; Dominique BUSSEREAU, président de l’Assemblée des départements de France ; Morgan CAILLAULT, président de l’intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale ; Pascal CHAMPVERT, président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées ; Jean-Baptiste DE FOUCAULD ; ancien commissaire au plan ; Anne-Sophie DESAULLE, présidente de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne ; Jeanne DUPONT DEGUINE, vice-présidente de l’association nationale des étudiants en médecine ; Louis GALLOIS, ancien président de la Fédération des acteurs de la solidarité ; Yannick MOREAU, ancienne présidente du Conseil d’orientation des retraites ; Jacky RICHARD, coordinateur du Pacte civique, Frédéric VALLETOUX, président de la Fédération Hospitalière de France.
  4. Philippe BROUSSARD : Un livre qui ouvre un débat nécessaire, in Le Monde, 15/01/22. 
  5. Jean MAISONDIEU : L’autruicide, un problème éthique méconnu,   revueLaennec 2010/1 (Tome 58). Il est l’auteur de l’ouvrage : Le crépuscule de la raison, éditions Bayard 2018
  6. Maurice BELLET (1923-2018) : Incipit ou le commencement, éditions Desclée de Brouwer 1992, pages 7-10

Vœux pour 2022 « Voici l’heure de sortir de votre sommeil »

Chronique de Bernard Ginisty du 11 janvier 2012

En ce début d’année, nous échangeons traditionnellement des « vœux ». Le mot « vœu », dans la langue française, signifie deux attitudes contradictoires. L’une traduit la futilité de ce qu’on appelle des « vœux pieux » formulés sans que leurs auteurs s’interrogent sur ce en quoi ils sont concernés par la réalisation de ce qu’ils « souhaitent », laissant ce soin à un « bon dieu ». La seconde exprime l’engagement de ceux qui se « vouent » à une cause.

L’année 2022, par l’ampleur des crises qui s’annoncent aura besoin, de notre part d’autre chose que des « vœux pieux ». Pour Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International et ancienne rapporteuse spéciale des Nations-Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires, « nous sommes dans une crise des normes, qui se traduit par des attaques contre la dignité humaine, et même contre l’idée d’égalité entre les êtres humains. La mort de réfugiés et de migrants est devenue monnaie courante, presque quelque chose d’acceptable, comme si leur vie avait moins de valeur que la nôtre. La crise aigüe que nous traversons pourrait conduire nos sociétés à des situations du type 1939. Je m’interroge souvent : serons-nous la génération des années 1930 ou celle des années 1948, qui a rédigé la Déclaration universelle des droits de l’homme ? » (1)

Par ailleurs, il faut bien constater l’inquiétante évolution des États-Unis d’Amérique qui menace l’équilibre mondial. C’est ce que constate l’économiste Jeffrey Sachs, professeur à l’université Columbia (New York) et président du réseau des solutions pour le développement durable des Nations Unies : « Les États-Unis sont devenus un pays de riches, par les riches et pour les riches, refusant toute responsabilité politique pour les dommages climatiques qu’ils imposent au reste du monde. Les clivages sociaux qui résultent de cette situation ont conduit à une épidémie de « morts du désespoir » (notamment par surdose médicamenteuse et suicides), à une baisse de l’espérance de vie (avant même la pandémie due au Covid-19), à une hausse de cas de dépression chez les jeunes. Sur le plan politique, ces profonds désordres mènent vers divers chemins – le plus inquiétant étant celui de Donald Trump, son faux populisme et son vrai culte de la personnalité. Servir les riches tout en distrayant l’attention des pauvres avec la xénophobie, les guerres culturelles et les coups de menton de l’homme fort est peut-être le plus vieux truc du manuel du démagogue, mais il fonctionne encore étonnamment bien » (2). Kathleen Belew, professeur d’histoire américaine à l’université de Chicago écrit : « Ma grande interrogation est de savoir à quel point ces groupes du white power vont réussir à capter un auditoire dans un cercle concentrique plus large. (…) Plusieurs participants à l’insurrection du 6 janvier ont été élus à des fonctions officielles sous la bannière du parti républicain » (3)

Cette évolution des États-Unis d’Amérique ne doit pas nous éviter d’analyser les faiblesses de la France et plus généralement de l’Union Européenne. Évoquant les cinq années où elle a été rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les exécutions extra judiciaires, Agnès Callamard constate : « Je n’ai pas trouvé que la France jouait un rôle particulièrement important ou positif en matière de droits humains. Les autorités françaises se montrent timorées dès qu’il s’agit de l’Arabie saoudite et de la Chine, privilégiant les exportations, les intérêts économiques et géopolitiques à la défense des droits » (4)

On a souvent reproché aux chrétiens, parfois à juste titre, de se réfugier dans un arrière monde qui les éloigne des combats pour l’homme ! Mais comment ne pas voir dans la course à l’argent, le désenchantement individualiste, les haines ethniques et raciales, les injustices établies, des “ opiums du peuple ” autrement dangereux ? La Résurrection manifeste que la force vivante en tout homme est plus radicale que ses peurs, ses échecs et ses enfermements. Elle indique, suivant l’étymologie du mot Pâques, que l’aventure humaine se réalise non dans la possession, mais dans le passage. Se vautrer dans la quête d’une intériorité toujours plus affinée est un terrain où prospèrent les idoles. Si Dieu est “ passant ”, c’est qu’il n’est pas “ présent ”. C’est dans le visage de ce qui nous est étranger que nous avons quelques chances de saisir sa trace. Au jeune homme riche qui, en règle avec toutes les lois, veut “ posséder ” la vie éternelle, le Christ propose “ d’entrer dans la vie ” en devenant étranger à ses biens (5). Aux opiomanes tentés d’enfermer l’aventure humaine dans l’avoir, le pouvoir ou la sécurité des appartenances, le message pascal annonce : “ Voici l’heure de sortir de votre sommeil ” (6).

  1. Agnès CALLAMARD : L’universalité des droits est un principe fondamental. Conversation publiée dans La Croix-L’Hebdo des 8 et 9 janvier 2022, pages 11 à 17. 
  2. Jeffrey SACHS : De la guerre des classes en Amérique. L »’économiste dénonce quatre décennies de « guerre contre les pauvres » qui ont conduit les États-Unis à la paralysie politique à l’intérieur comme à l’extérieur de leurs frontières, in journal Le Monde, 3 janvier 2022, page 27.
  3. Kathleen BELEW : On assiste à une lame de fond massive du militantisme white power. Entretien publié dans le journal Le Monde du 10 janvier 2012, page 23.
  4. Agnès CALLAMARD : op.cit. page 14. 
  5. Évangile de Matthieu, 19, 16-22.
  6. Épître aux Colossiens, 3, 10